Il s’appelait Claude, portait un long trench, un chapeau élimé et
passait au bar du coin toutes les semaines. On le pensait tous un peu
azimuté : il prétendait être un chasseur de fantômes. On le laissait
raconter ses histoires en lui servant un demi. Le père Roger pensait
même l’inviter à dîner un de ces soirs, façon dîner de cons, vous savez.
Un jour, il a débarqué avec la photo d’une femme magnifique. Boucles
brunes, sourire angélique. Morte dans la fleur de l’âge, qu’il disait.
Assassinée. Il était sur une piste, qu’il disait. Un désaxé qui butait
tout ce qui avait moins de trente ans et une gueule agréable. Il leur
coupait la tête et arrangeait le corps en tableau macabre. On s’en
souvient avec les gars, parce que les infos en parlaient tous les jours à
cette époque. Et bien le Claude, il a été retrouvé dans l’une de ces
atroces scènes un jour. Installé sur un fauteuil en cuir, avec son
imper, et le chapeau toujours sur la tête. Posée à côté du guéridon, la
tête.
Sauf que la semaine dernière, ils ont retrouvé un jeune
photographe assassiné. Pas de mise en scène, pas de décapitation, rien.
Du propre. Et bien les flics ont retrouvé tout un attirail chez le
photographe. C’était lui, le psychopathe des décapités ! Mais je vais
vous dire le plus étrange. Les témoins disent qu’ils ont vu un couple
chez le gars : une jeune fille aux boucles brunes et au sourire à
tomber, avec un type en imper et en vieux chapeau. Imperturbables, les
deux. En cinq minutes, ils étaient entrés et ressortis, sans un bruit.
Le photographe a été étouffé de l’intérieur. Ouais, de l’intérieur,
comme si quelqu’un avait serré sa trachée en passant la main à travers
son cou. D’habitude, Claude vient le vendredi soir et s’assoit sur la
table au fond, là. Je vous jure que si vous venez voir à dix-huit heures
précises, vous le verrez me réclamer un demi. Si j’ai tort, je te paye
un coup. À vendredi !
(Writober jour 15)
(52 micronouvelles en 2018 – 34/52 – série : microfables)