Un vent glacial soufflait sur les plaines du royaume en cette fin d’hiver. Les arbres dansaient dans leur robe de givre et les estomacs grondaient famine. En cette mordante matinée d’hiver, le jeune Guilerm se faufila hors de la hutte familiale, traversa le garde-manger vide et rejoignit la Grand-Place de la ville, où bouchers et boulangers tenaient pignon sur rue pour leur clientèle fortunée.
Petit et maigre comme une anguille, Guilerm n’eut aucune peine à se glisser à travers les barreaux de la fenêtre du boucher. Il fut instinctivement attiré par les grappes de saucisson sec suspendues aux poutres de la pièce, comme un chat rôdant autour des étals de nourriture du marché hebdomadaire.
Pressé par un estomac noué de faim, Guilerm tenta de décrocher trop de viande séchée. La grappe se détacha et les saucisson tombèrent en pluie sur le parquet du garde-manger, éveillant les habitants de la maison. Le petit parvint à s’extirper de justesse par les barreaux de la fenêtre, mais il fut vite rattrapé et emprisonné.
Le matin de son jugement, une petite foule de paysans et d’ouvriers se rassemblèrent sur la place publique. Un mouvement de contestation antimonarchique avait placé le petit Guilerm en victime de la famine, et de l’incompétence de leur roi, Charles-Adolph Ier. Ayant décidé de se déplacer en personne, le monarque pouvait entendre les huées populaires à travers les fenêtres du tribunal.
Lorsque le gamin parut devant son souverain, il lui tint tête comme personne auparavant. Guilerm parla de l’embonpoint des bourgeois et de la mort des enfants de paysans. Sidéré par tant d’outrecuidance, Charles-Adolph Ier suspendit son verdict, l’espace d’un instant. Puis… il gracia le jeune Guilerm et investit dans une dizaines de moissonneuses mécaniques pour aider les paysans de la région à récolter leur blé plus rapidement et éviter la famine de fin d’hiver.
Le peuple découvrit alors que roi disposait à la fois de beaucoup d’empathie et d’un égo étonnamment sain pour le chef d’une monarchie absolue et sans contrepouvoir.
Guilerm rentra chez lui ce jour-là. Dix ans plus tard, il reprit la gestion de la ferme familiale. Il ne devint jamais le symbole d’une révolution. La monarchie ne fut pas renversée, et aucune période de trouble politique ne commença dans le royaume. Charles-Adolph Ier connut un règne long et prospère dans un royaume stable et serein, et mourut dans son lit alors qu’il disputait une partie de Scrabble avec la reine.
(52 micronouvelles en 2018 – 4/52 – série : Élément déclencheur)