Un parc en automne.

Cet automne, je visite régulièrement le parc du quartier. Il ne paye pas de mine, entre une avenue et une rue résidentielle, avec sa verrière abandonnée et sa bibliothèque en préfabriqué, son étang minuscule et sa petite aire de jeux. Il est à peine plus grand que le jardin familial en Auvergne.

Et pourtant…

Pourtant, la nature s’y développe, indifférente au béton qui l’entoure. J’ai déjà traversé ce parc depuis que j’habite dans ce quartier. Pour aller au marché, celui qui est un peu plus loin, de l’autre côté de la grande avenue. Pour courir brièvement, entraîner mes fractionnés. Mais jamais bien longtemps. Autour de nous, à un peu plus d’un kilomètre, d’autres parcs plus grands nous permettaient de prendre notre petit bol de nature de citadins gavés de béton.

À un peu plus d’un kilomètre…

À l’automne 2020, ce petit parc dispose d’un avantage certain sur toutes les autres parcelles de nature de la ville : il se situe à moins d’un kilomètre de chez moi. Une bouffée d’air frais dans un automne confiné.

Alors j’ai appris à le connaître, mon parc de quartier. Trois fois par semaine, j’enfile ma tenue de sport et mes baskets, et je fais le tour du parc, trois fois, cinq fois, dix fois…

À chaque sortie, les arbres m’accueillent, toujours les mêmes mais pas tout à fait. Les feuilles ont jauni, rougi, bruni. Un océan mordoré s’étend au pied des arbres ce matin. Elles crissent sous mes pas alors que je cours dessus en les faisant virevolter. C’est une matinée brumeuse, nuageuse, rehaussée par le ballet de tons orangés offerts en toute indifférence par les arbres de mon petit parc.

Et je ne suis pas la seule à apprécier ce carré de nature à moins d’un kilomètre. Au premier novembre, les enfants s’amusent dans l’aire de jeux, innocents et joyeux, entourés de parents masqués qui rattrapent les nouvelles à un mètre de sécurité, ou un peu moins, en gardant un œil sur les gamins.

Sur les bancs disséminés dans l’étendue d’herbes, un jeune à capuche lit un petit poche, un autre écoute de la musique, allongé, les yeux fermés. Deux vieilles dames font le tour du parc, lentement, discutant des dernières nouvelles du quartier. Un couple de jeunes parents se promène avec une poussette. Dans ce carré de nature, personne ne se soucie du brouillard de novembre.

*

La vie du parc n’est pas la même en fonction de l’heure.

Ce matin de semaine, un peu avant neuf heures, j’ai presque le parc pour moi alors que je cours sous les feuilles rougies par l’automne. Quelques personnes seules, apprêtées pour le travail, le traversent à la hâte, joues rougies par le froid, nez dans l’écharpe et oreilles sous les écouteurs. Un papa marche doucement, suivi par un garçon à l’allure maladroite. Comme une cane prêtant attention à sa file de canetons, l’adulte jette un œil derrière lui, ralentit encore, puis se retourne pour tendre la main à son bambin.

Un autre coureur traverse le parc. À ses joues rouges, je devine qu’il est là depuis plus longtemps que moi. Une mère, ou une nounou peut-être, arrive à vélo avec une remorque avant remplie de quatre enfants, protégés par un dôme en plastique. Un vieil homme marche le long du chemin, casquette sur la tête et mains dans les poches. Plus loin, une femme sans âge promène son petit chien.

Vers neuf heures, une déferlante sonore s’engouffre dans le parc. De jeunes adolescents, probablement une classe entière, envahissent l’aire de jeux sous le regard vigilant de deux accompagnants masqués. C’en est fini de mon rendez-vous intime avec mon carré de nature.

*

Aujourd’hui, les employés municipaux sont venus débarrasser mon cher océan de feuilles.

Deux hommes en gilet fluorescent manient une souffleuse qui couvre la voix du podcast que j’écoute, rassemblant les feuilles vers un troisième homme qui les charge à l’arrière d’une camionnette. Je change l’itinéraire de mes tours de parc pour ne pas courir dans leurs pattes. Alors que je m’approche du chemin où ils travaillent, une odeur de mousse et de pins humides m’envahit les narines. L’espace d’un instant, je cours en forêt, sous les arbres humides d’un sous-bois automnal.

À mon troisième tour, une jeune femme s’est arrêtée au bord du chemin. Un rayon d’or liquide se déverse entre deux bâtiments et illumine le petit parc. Casque sur les oreilles, manteau noir remonté jusqu’au menton, sac à dos sur les épaules et mains jointes sous son ventre, elle ferme les yeux, s’offre au soleil matinal de cette belle journée d’automne. Je détourne ma route, lui laisse ce moment intime avec son carré de nature.

Sous les arbres bientôt nus, je profite des dernières bribes de ma saison préférée, dans mon carré de nature à moins d’un kilomètre de ma demeure…

— Bribe automnale, le 20 novembre 2020. Saison 22/24 : Océan de feuilles

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