Dangereuse botanique

— Inspecteur, vous êtes là. Nous n’avons pas encore retiré le corps de la scène de crime.

L’inspecteur regarda autour de lui : une serre remplie de plantes en tous genres, à l’air étouffant et aux odeurs enivrantes. Au centre de la pièce gisait la propriétaire en tablier de jardinier, un sécateur à la main et le visage livide. Le policier soupira.

— Elle tenait une chaîne Youtube sur le jardinage. Deux cent cinquante mille abonnés. Ça va être un cauchemar avec la presse.

Carnet de notes en main, son assistant s’arrêta un instant, regarda la victime et haussa les épaules.

— On laissera faire le service de relations presse. Dites, patron, comment vous savez pour la chaîne YouTube ? Les gars sont encore en train de rassembler son dossier.

L’inspecteur se massa l’arête nasale du bout des doigts. Il n’avait aucune envie de dire à son assistant qu’il était féru de botanique et qu’il regardait chacune des vidéos de la victime pour entretenir ses plantes d’intérieur. Il ignora la question et pointa la légiste du doigt, qui était en train de relire le rapport de son collègue, debout à côté de la victime.

— Et la toubib, elle en dit quoi ?

L’assistant jeta un œil sur ses notes.

— A priori, crise cardiaque. Aucun signe de violence, aucune effraction, aucune maladie. Ils vont vérifier à l’autopsie mais ce serait un tragique accident.

— À vingt-quatre ans, alors qu’elle était en pleine santé ?

Dubitatif, l’inspecteur resta à fouiner dans la serre avec masque et gants bien longtemps après le départ du reste de l’équipe. Il finit par ressortir de la serre à la nuit tombée, le sourire caché par son masque de protection.

Voyez, l’assassin avait tout prévu. Le lendemain, l’autopsie confirma la crise cardiaque. L’inspecteur n’avait pas encore fermé l’affaire, mais ce qu’il avait prédit se confirma : la presse s’emparait déjà de la tragique histoire de la YouTubeuse.

C’était le crime parfait.

Sauf que l’assassin n’avait pas prévu que l’inspecteur de police serait, lui aussi, féru de botanique. Deux jours plus tard, la police frappait à la porte de l’assassin, un écrivain botaniste qui peinait à atteindre les dix mille abonnés sur sa chaîne YouTube. La jeune femme avait été empoisonnée par une substance indétectable. Provenant d’une plante issue de sa propre serre. Que l’inspecteur avait identifiée.

Mais ce qui causa la plus grande déception à l’assassin capturé, ce fut le fait que l’inspecteur, pourtant fin amateur, ne connaissait même pas sa chaîne YouTube…

(Writober jour 9)
(52 micronouvelles en 2018 – 24/52 – série : crimes foirés)

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