Ô génie

Depuis qu’elle avait décroché son diplôme d’école de commerce, Elisa travaillait dans une agence de marketing. Chaque matin, elle descendait les sept étages de son immeuble pour prendre le métro, et chaque soir, elle remontait dans sa chambre de bonne, repas en main. Son travail lui laissait peu de répit, mais elle nourrissait un rêve : devenir écrivain.

À chaque fois qu’elle passait devant la librairie indépendante au coin de sa rue, elle imaginait l’une de ses mille idées transformée en roman, avec une jolie couverture, exposée en vitrine. Sur son minuscule bureau inutilisé, elle imaginait les carnets s’amonceler, les jolis stylos, les manuscrits raturés et, toujours, sa tasse de thé fumant.

Plus les mois passaient dans son agence, plus son rêve se diluait dans le quotidien. Bientôt, son petit bureau fut couvert de factures, de cartons d’achats par correspondance et de dossiers client.

Un jour, en sortant les poubelles dans sa cour intérieure, Elisa trébucha sur un vieil objet en laiton. Agacée, elle donna un coup de pied dedans et l’envoya valdinguer contre le mur d’en face. Alors qu’elle s’apprêtait à rentrer dans l’immeuble, un œil sur son fil de réseau sociaux, un halo lumineux jaillit de l’objet et un personnage torse nu se matérialisa dans la cour. Il portait un simple pantalon de coton qui se perdait dans la fumée sortant de la lampe, ainsi qu’une boucle dorée à l’oreille et un petit bouc au menton.

— Diantre, c’est bien la première fois que je suis appelé de manière si violente.

Médusée, Elisa resta les bras ballants, téléphone en main. Puis elle se mit à chercher autour de la cour. Ce devait être un appareil holographique. Elle finit par saisir l’objet, une lampe à l’ancienne couverte de taches et de rayures. La fumée s’échappait de son bec. Les bras croisés, le génie la regardait faire, l’air amusé, tandis qu’elle retournait la lampe dans tous les sens. Au bout de quelques minutes, Elisa finit par hausser les épaules et accepter l’impossible.

— Que voulez-vous ?

— C’est plutôt à moi de vous demander cela, jeune demoiselle. Un vœu, n’importe lequel, à effet immédiat. Dans la limite des lois de la physique de cet univers, bien sûr.

Un vœu. Et pourquoi pas ? Elle n’avait rien à perdre. Les mots sortirent de sa bouche avant qu’elle ne le décide elle-même.

— Je veux devenir écrivain.

— Ah, facile. Et voilà !

Le génie agita ses mains devant lui, puis disparut dans un halo de fumée. Seule dans la cour, Elisa regarda autour d’elle, puis sur son téléphone. Rien n’avait changé, ni sur son fil twitter, ni dans ses emails. À quoi s’attendait-elle ?

Lorsqu’elle arriva dans sa chambre de bonne, elle hoqueta de surprise. Rien n’avait changé, à part son petit bureau inutilisé. Tout le bazar avait été disposé au pied de son lit, et sur son bureau trônaient un petit carnet vierge et un crayon.

Avec, à côté, une tasse de thé fumant.

(52 micronouvelles en 2018 – 7/52 – série : microfables)

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