On ne se demande jamais si notre banquière ou notre boulanger est un ou une professionnel(le). C’est son métier et ça coule de source. C’est le cas de toutes les professions, non?

J’aimerais bien.

Malheureusement, dans le cas des métiers créatifs, la définition n’est pas si claire. Pour celles et ceux qui, comme moi, pratiquent une activité créative, que signifie “être professionnel(le)” ?

Être ou ne pas être “un(e) professionnel(le)”

Je me souviens d’une discussion avec un éditeur bien intentionné. Il comptait me donner des conseils d’écriture, et a commencé sa phrase par “Si tu veux devenir une autrice professionnelle…”. Je lui ai coupé la parole avec calme : “Je suis déjà une autrice professionnelle”.

J’ai essayé d’imaginer la conversation dans le cadre d’un autre métier. Mes missions de communication, par exemple. Je pourrais donner des conseils à mes collègues moins expérimentés, s’ils me le demandent. Mais une chose est sûre, jamais je ne leur dirais : “Si tu veux devenir un assistant de communication professionnel…”.

Ils ou elles peuvent être débutantes, manquer d’expérience ou de maturité professionnelle, mais à partir du moment où ces personnes sont embauchées au poste d’assistant de communication, ce sont, de fait, des professionnels de la communication, et personne n’en douterait.

Ce qu’on entend par “être un(e) professionnel(le)”

Être un(e) professionnel(le), c’est, par définition, exercer une profession. Cela n’a, par contre, rien à voir avec le niveau d’expertise de la personne : on recrute des stagiaires, des juniors, des profils expérimentés, des directeurs et directrices…

J’ai commencé à travailler dans la communication en 2010. J’étais assistante, c’était mon premier emploi et, au début, je ne savais pas bien ce que je faisais. Mais personne n’a jamais remis en cause mon statut de professionnelle de la communication pour autant.

On ne remet pas en cause l’assistant de communication ou le banquier parce qu’ils sont employés par une entreprise et reçoivent un salaire en échange de leur travail.

Le travail et le plaisir

Prenons maintenant le contraire du professionnalisme : “être amateur ou amatrice”. C’est ce qu’on appelle les loisirs du dimanche. Ce qu’on fait chez soi, sans employeur ni reconnaissance.

Aller jouer au foot avec ses enfants le week-end ne fait pas de nous des footballeurs professionnels. Gribouiller à la gouache dans des cours du soir ne fait pas de nous des peintres professionnels.

Bien souvent, la manière dont on fait la différence entre le professionnalisme et l’amateurisme, c’est entre le travail et le loisir. Notre banquier ne nous vend pas des prêts immobiliers pour le plaisir le dimanche. Et on n’attend pas de compétences ou de salaire lorsqu’on va jouer au foot avec nos enfants dans le jardin.

Mais la définition est-elle si simple? Personnellement, le soir et le week-end, je ne pratique pas que des loisirs. Je fais aussi le ménage, les courses, la cuisine et la lessive. Ce n’est pas particulièrement plaisant, et pourtant, je ne me qualifierais pas de blanchisseuse professionnelle.

La profession et la rémunération

Si ce n’est pas le plaisir qui définit le professionnalisme, alors c’est peut-être le salaire. Après tout, des cuisiniers ou des personnes de ménage professionnelles, ça existe. La différence avec ma matinée ménage du dimanche? Ils sont payés pour ça.

Alors est-ce là la définition d’un(e) professionnel(le) ? Quelqu’un qui est payé en échange de son activité?

Et pourtant…

Revenons-en à mes métiers créatifs, si vous voulez bien. Beaucoup d’activités créatives sont rémunérées, d’une manière ou d’une autre, que ce soit via un salaire, une prestation, des droits d’auteur ou autres. Donc, on devrait les considérer comme professionnels sans remettre leur légitimité en question, non ?

J’aimerais bien.

Vous avez peut-être entendu parler du “graphiste gratuit”, ou toutes ces anecdotes de graphistes (professionnel(le)s) à qui on demande de travailler gratuitement, “pour la visibilité” par exemple. Ou encore, j’ai déjà vu des personnes critiquer des vidéastes qui ouvrent une plateforme de financement pour leur permettre de produire leurs vidéos : “pourquoi on te paierait? C’est pas un métier de faire des vidéos YouTube lol

Côté écriture et illustration, un éditeur de BD a suscité le tollé récemment en affirmant que les créateurs et créatrices de BD ne deviennent professionnels que lorsque leurs BD se vendent. Par contre, les personnes qui publient, impriment, diffusent et distribuent lesdites BD qui ne se vendent pas sont quand même considérées comme professionnelles, elles.

Un architecte qui conçoit un bâtiment dont la construction est finalement annulée, un chef de projet d’agence de pub dont l’offre n’est pas retenue par le client, le boulanger à qui il reste des pains en fin de journée, tous ces gens sont quand même considérés comme professionnels.

Donc, ça n’a pas grand chose à voir avec la rémunération ou le succès de notre travail, le professionnalisme.

Suis-je une artiste professionnelle ?

Si “être professionnel(le)” n’a pas vraiment de rapport avec le niveau d’expertise, l’absence de plaisir qu’on prend à la tâche, le fait d’avoir un emploi stable, ou avec le succès et l’argent que rapporte mon travail, alors qu’est-ce que ça veut dire ?

Puis-je dessiner le dimanche sur mon temps libre et me qualifier d’artiste professionnelle? Puis-je écrire un roman que personne ne publie et me qualifier quand même d’écrivaine professionnelle?

Je n’ai pas de réponse universelle à cette question. Et c’est bien pour ça que le débat est si présent dans les métiers créatifs.

Mais voici ma vision des choses, la définition qui me pousse à couper la parole à un éditeur pour lui dire que je suis déjà une autrice professionnelle.

Le professionnalisme est une intention

Pourquoi je ne suis pas une footballeuse professionnelle si je joue au foot avec mes enfants dans le jardin ?

Parce que mon intention n’est pas d’exceller au football, de battre mes enfants ou d’être repérée par un club sportif. Mon intention est de jouer avec mes enfants.

Pourquoi je ne suis pas une blanchisseuse professionnelle si je nettoie mes propres vêtements, serviettes et draps?

Parce que je pratique ces tâches par nécessité, pour faire tourner la maison, et parce que je n’ai pas les moyens financiers d’employer un blanchisseur professionnel pour le faire à ma place. Mon intention est que mes fichus vêtements soient propres, c’est tout.

Par contre, lorsque je peins des aquarelles, même si ce sont des études pour m’exercer, j’ai l’intention d’améliorer mes compétences et trouver mon style pour ensuite peindre des œuvres qui me sont propres, que je voudrais partager, exposer et, pour certaines, vendre.

Lorsque j’écris un roman, mon objectif est d’améliorer ma plume, mon style et ma patte, puis de l’envoyer à des éditeurs et d’obtenir une publication.

Je pratique ces deux activités artistiques avec l’intention de me constituer une voix, un style et un corpus d’œuvres qui me sont singulières. Puis j’ai l’intention de partager tout ça, de trouver un public sensible à ma voix et de diffuser mes œuvres à qui y trouve de la valeur.

En d’autres termes, vous êtes un(e) professionnel(le) à partir du moment où c’est votre intention.

Le professionnalisme est une attitude

Je me souviens d’un entretien de fin de stage que j’ai dû mener avec les RH lorsque j’étais employée en communication et qu’on avait des assistant(e)s. Il fallait expliquer au jeune stagiaire d’alors qu’on ne lui proposerait pas de CDD à cause de son attitude qui manquait de professionnalisme.

Par exemple, il rechignait à exécuter les tâches “trop simples” qu’on lui demandait de faire, se sentant supérieur à ce genre de choses. Il s’endormait en réunion, arrivait parfois au travail en sentant l’herbe et parlait sur un ton sacrément détendu à la directrice de communication.

Résultat, l’entreprise ne l’a pas considéré comme suffisamment professionnel pour être employé à la fin de son stage.

Dans les métiers créatifs, l’attitude professionnelle peut revêtir d’autres formes. Par exemple, un écrivain professionnel écrit régulièrement. Pas forcément tous les jours — à chacun son système d’organisation. Mais si vous n’écrivez jamais rien, difficile de vous qualifier d’auteur ou autrice professionnelle.

L’attitude, c’est tout un tas d’autres choses qui comptent. Par exemple, nous avons briefé des vidéastes récemment dans le cadre de ma mission de communication, et j’ai été impressionnée par leur professionnalisme : disponibles par e-mail et pour des réunions téléphoniques, des explications très claires sur le type et la qualité de leurs productions vidéo, des devis complets et carrés, des limites clairement posées sur leur prestation…

Dans mon métier d’artiste, une attitude professionnelle, ce peut être envoyer les manuscrits au format attendu par les éditeurs, avec les informations demandées en pièce jointe. Ce peut être prendre du recul face aux retours des bêta-lecteurs et les traiter de manière à améliorer mon texte au lieu de me braquer émotionnellement.

Ce peut être encore scanner ou prendre des photos en haute définition des œuvres d’art que je compte mettre en vente ou répondre aux e-mails dans un délai raisonnable.

Ce peut être aussi poser des limites saines, comme recadrer un éditeur pour lui rappeler que je suis déjà une autrice professionnelle et que je souhaite être traitée comme telle.

Professionnalisme et argent

Pour terminer, je voulais préciser deux mots sur la question de la rémunération.

Comme on l’a vu avec les “graphistes gratuits” ou les vidéastes, une profession non reconnue comme un métier peut peiner à recevoir une rémunération juste pour le travail accompli.

D’un autre côté, je pense qu’on peut tout à fait se qualifier de professionnel même si notre activité ne rapporte pas d’argent — soit parce que l’activité débute et que ça prend du temps de trouver un public prêt à payer, surtout dans des professions indépendantes où on ne dépend pas d’un emploi ni d’un salaire fixe.

Mais aussi, parfois, parce que même si on aborde une activité de manière professionnelle, gagner de l’argent avec peut rester un objectif secondaire, voire pas un objectif du tout.

Il existe plein de raisons pour lesquelles on peut souhaiter s’engager dans une activité avec professionnalisme. En récolter une rémunération est une raison tout à fait légitime. Mais ce n’est pas la seule raison possible.

Je suis de ceux qui pensent que l’argent est un moyen et pas une fin en soi. En tant que moyen, l’argent est nécessaire pour subvenir à nos besoins dans la société moderne.

Mais pour moi, professionnalisme et rémunération ne sont pas forcément liés. À chacun sa manière de gagner l’argent nécessaire pour subsister dans la société moderne. Tant que c’est votre choix. Attention au travail gratuit.

Mais ça, c’est un sujet pour un prochain article…

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Quelle est votre définition de ce qu’est un(e) professionnel(le) ? Vous considérez-vous professionnel(le) que dans le métier qui ramène l’argent à la maison, ou lancez-vous des projets, créatifs ou non, que vous avez décidé d’aborder de manière professionnelle? Dites-moi ce que vous en pensez, je trouve le sujet vraiment passionnant !

En attendant, merci infiniment d’avoir lu cet article jusqu’au bout! Je vous souhaite une belle journée, une excellente soirée, et à la prochaine…

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