J’ai été traumatisée par un film quand j’étais petite. Il s’appelait La planète des singes, et l’idée du film était très ingénieuse. Un équipage d’astronautes partait à la conquête des étoiles et se retrouvait sur une planète où les homo sapiens n’étaient que des animaux exploités par des singes intelligents. Jusqu’à la grande révélation à la fin : cette planète, c’est la Terre, des milliers d’années dans le futur.
Dans le film original, pour montrer ladite révélation, nous voyons le héros sur une plage découvrir ce qu’il reste de la statue de la liberté. En une image, nous découvrons notre civilisation détruite. Par le symbole d’un monument iconique, en ruines.
Cette scène m’a traumatisée, parce que c’était mon premier contact avec l’impermanence de toutes choses. Par cette œuvre d’anticipation, je venais de comprendre que rien n’était immuable, que tout avait une fin. Et pour une enfant de huit ans, cette perspective est terrifiante.
Mis à part regarder des films qui n’étaient pas de mon âge, j’avais un autre passe-temps quand j’étais petite : je jouais à des jeux vidéo. L’un de mes préférés, c’était Age of Empires II. Un jeu de stratégie où il fallait construire sa civilisation tout en allant conquérir de belliqueux ennemis. Personnellement, je n’avais cure de faire la guerre. Par contre, j’adorais construire mes villes et voir ma civilisation se développer.
Dans ce jeu, il existait un élément prouvant le niveau d’évolution de notre civilisation et qui rapportait un max de points : construire une merveille. Les petits personnages mettaient des décennies, des siècles parfois, à construire, mettons, une cathédrale. Un symbole de l’apogée de l’Empire du joueur.
Dans le jeu comme dans la vie, la merveille représente l’épanouissement de la civilisation, mais aussi sa stabilité. C’est aussi le cas de nos merveilles, nos monuments. Ceux qui ont nécessité des décennies et des fortunes à construire, que l’on serait bien en peine de reproduire aujourd’hui.
Nos monuments sont le symbole de notre patrimoine, notre passé, notre socle. Ils traversent les siècles, parfois les millénaires, et nous paraissent immuables. Ce sont nos repères. Nous les croyons indestructibles.
La dernière fois que j’ai vu Notre-Dame, c’était le 24 février 2019. Je venais de terminer mon tout premier write-in avec quatre autrices dans un espace de coworking vers St Michel. Le soleil dardait ses rayons obliques sur les monuments parisiens, les nimbant d’une incroyable lumière dorée.
Je me suis arrêtée devant la librairie Shakespeare & Company, et j’ai regardé notre cathédrale, notre cœur. Moi aussi, elle me paraissait immuable, invincible. Mais ce moment, comme tous ceux de notre vie, s’est envolé. Le soleil s’est couché, les lampadaires se sont allumés, et j’ai repris mon chemin vers la bouche de métro. Plus jamais je ne reverrai Notre-Dame comme elle était ce soir-là.
C’est ça, l’impermanence de toutes choses.
Les Japonais l’ont compris depuis bien longtemps : rien n’est éternel. Chaque moment ordinaire est précieux par son unicité et son impermanence. Que nous y prêtions attention ou pas, il passera.
Cette profonde conscience de l’impermanence est ancrée dans toute la culture japonaise, probablement parce que chez eux, Notre-Dame aurait été détruite par un tremblement de terre depuis des siècles.
Sur une île sujette aux séismes, tornades et autres éruptions volcaniques, les Japonais ont vite compris que rien ne durait en ce bas monde. Alors ils écrivent de poèmes qui encapsulent une scène, un instant, une image. Ils sortent au printemps pour déjeuner sous les cerisiers en fleurs avant que le vent n’en balaient les pétales, au bout de quelques jours à peine. Ils subliment la beauté de l’ordinaire et du quotidien parce que chaque moment, même banal, peut s’évaporer sans crier gare.
Alors aujourd’hui, même si j’ai l’impression que mon cœur de Parisienne a été arraché, j’ai envie de vous laisser avec une note d’espoir et d’optimisme. Rappelons-nous que rien ne dure. Mais c’est ce qui fait la beauté de notre monde et de notre vie. Cette fragilité du moment, ce plaisir éphémère que l’on peut attraper avant qu’il ne s’envole.
C’est le moment de célébrer les petits riens qui nous entourent, d’exprimer notre gratitude pour tout ce qui embellit notre vie, et d’honorer ce qui fut, et qui change, inexorablement.