J’étais en train d’écouter un podcast sur la créativité, Magic Lessons par Elizabeth Gilbert, lorsqu’une petite phrase, simple et anodine, m’a sauté en pleine face comme un alien tout juste sorti du ventre de Sigourney Weaver.
« Why don’t you become the person you admire ? »
« Pourquoi ne devenez-vous pas la personne que vous admirez ? »
C’est Elizabeth Gilbert qui pose cette question à la photographe avec qui elle discute de ses projets et de sa créativité dans l’épisode 2 de la saison 2 de son podcast.
Au-delà de l’inspiration créatrice des artistes qui nous influencent, cette question englobe en fait une notion plus large : celle de regarder la manière dont agissent les gens que nous admirons, les choix qu’ils ont fait pour les porter où ils sont. Nous demander comment ils agiraient s’ils étaient dans notre situation actuelle.
Parce que si nous les admirons, ils doit bien y avoir une raison. Et si nous prenons l’état d’esprit, la philosophie de vie que nous admirons tant chez ces personnes pour l’appliquer à notre propre existence, alors nous fabriquons pour nous-même une vie qui nous satisfait. Une vie que nous admirons. Et n’est-ce pas là le but de tout un chacun ? Vivre la vie dont nous rêvons nous-même, selon nos propres critères d’admiration ?
Les personnes que j’admire
C’est là que se pose la première question, la base : mais j’admire qui, moi, en fait ? Je n’ai pas voulu me limiter au champs de l’écriture (mon art), ni même de la création en général pour poser la question de manière beaucoup plus vaste. Qui sont les gens que tu admires autour de toi, aussi bien parmi les proches que les célébrités ? Pourquoi ?
En fait, c’est une question lancinante que je me pose depuis des mois, depuis que j’ai décidé de réévaluer ma carrière. Comme le son humide et répétitif d’un robinet qui goutte.
J’admire mon amie bijoutière qui a décidé de vivre de son artisanat et de son art, malgré les difficultés financières et le temps à investir dans cette construction. J’admire Ann Leckie, une autrice de science-fiction qui a fait plein de boulots différents mais qui a écrit, publié, jusqu’à se faire connaître avec une trilogie de romans. Qui parle de son engagement social, politique et écologique sur son blog. Qui est tout sourire, humble et reconnaissante.
J’admire Elizabeth Gilbert, qui, comme elle le raconte sur la scène de TED, a persévéré dans son écriture, pendant ses études, pendant ses années de serveuse, pendant six ans où tout ce qu’elle a reçu des éditeurs, ce furent des rejets. J’admire un ancien collègue, avec qui je n’ai que peu eu l’occasion de parler malheureusement, qui, après une année sabbatique à faire le tour du monde, a lâché son job en open space pour ouvrir une auberge de jeunesse.
J’admire Jean-Sebastien Guillermou, auteur de l’imaginaire, que je n’ai pourtant que brièvement rencontré en septembre dernier, pour son sourire à toute épreuve, sa gentillesse et sa générosité.
Et il y en a bien d’autres, des gens proches ou figures publiques, que je connais personnellement ou non, dont j’admire certains traits de caractère ou choix de vie. Sur ma liste ne figure pas une seule personne dont la réussite consiste à monter les échelons de l’entreprise et gagner un meilleur salaire et un poste de manager.
Pourquoi mener ma vie dans cette direction-là alors que le parcours des gens que j’admire est beaucoup plus atypique ? Voilà la première des réflexions qui m’a menée à quitter mon travail, mais cette histoire est pour un autre jour. Aujourd’hui, je veux me concentrer sur les personnes que chacun de nous admire, et ce qu’elles peuvent nous apporter.
Qu’admire-t-on vraiment ?
Mes sources d’inspiration ne seront pas les vôtres, et c’est normal. Mais ce qu’elles ont toutes en commun, c’est que nous admirons certains traits de caractères ou choix pour une raison. Nous n’admirons pas une personne dans son ensemble. Par exemple, je n’ai aucune envie de devenir bijoutière, d’ouvrir une auberge de jeunesse ou de ressembler physiquement à l’une de ces personnes que j’admire.
Nous sommes attirés par certains points particuliers de la personnalité ou du parcours de ces gens. Je pense que nous admirons chez autrui certains aspects qui reflètent qui nous aimerions être, sans parfois se l’avouer.
Par exemple, le point commun des gens que j’ai cités ci-dessus ? Ce que je discerne, c’est qu’ils ont tous et toutes suivi leur voix intérieure. Tous et toutes ont choisi de consacrer du temps à ce qui comptait pour elles et eux, au prix de sacrifices, parfois, dans les domaines du temps, du confort, de l’argent.
J’admire cette résilience face à l’échec, cette boussole qui les guide sans flancher vers ce qui compte vraiment pour elles et eux. Ou, dans le cas de l’ancien collègue qui a tout quitté, le courage de se lancer, de bifurquer après des années de carrière.
De l’image que j’en ai, ce sont aussi des gens qui nourrissent des valeurs profondes, pas forcément les mêmes que les miennes, mais des valeurs qu’ils et elles incarnent et décident de suivre.
Réactions face à ces personnes inspirantes
Cela paraît simple alors, non ? Puisque tu sais ce que tu admires chez autrui, alors fais comme eux ! C’est exactement ce qu’Elizabeth Gilbert conseille dans le podcast en question : agis comme les personnes que tu admires agiraient à ta place. Il n’est pas question de les copier ou de devenir quelqu’un d’autre, mais simplement reconnaître l’état d’esprit, l’élément que nous admirons chez la personne et l’adopter dans notre vie.
Pourtant, rien n’est si simple ! Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours admiré le même type de personnes. Au Japon, j’admirais la prof d’université qui travaillait malgré sa trentaine bien tassée (au Japon, il est commun pour les femmes de quitter leur travail une fois mariées et mères, donc vers 25-30 ans), portait sa passion pour les chats à travers divers accessoires et poursuivait une carrière qui n’empiétait pas sur sa vie personnelle (beaucoup de Japonais travaillent plus de 80 heures par semaine, ils ont même inventé le Karôshi, la mort par épuisement. Yay !). Quelque part, j’admirais déjà son anticonformisme, le fait qu’elle gardait sa personnalité, suivait sa propre boussole dans une société extrêmement contraignante pour l’individu.
L’amie bijoutière que j’admire ? Je la connais depuis près de vingt-huit années, et elle poursuit cette carrière depuis plus de dix ans.
Malgré tout, je me suis dirigée, après mon master de japonais, vers une école de management, et vers un travail en open space. Pourquoi ne suivons-nous pas l’exemple des gens qui, pourtant, touchent notre sensibilité et attirent notre admiration ?
Peut-être pensons-nous que ces traits de caractère sont innés et que nous n’en sommes pas capables. Suis-je capable d’une telle résilience ? De sacrifier la sécurité et le confort matériel pour me lancer dans des projets qui me tiennent à cœur ? Suis-je capable d’humilité, d’empathie, de sourire à toute épreuve ? Si mon amie fabriquait des bijoux dans sa chambre à huit ans pendant que j’écrivais des poèmes, comment se fait-il qu’elle soit devenue bijoutière alors que j’ai abandonné l’écriture à l’âge de raison, l’âge où il faut bien « gagner sa vie » ?
En fait, je pense qu’au fond de nous-même, nous savons très bien qui nous voulons être, les traits de caractère que nous admirons et la vie que nous souhaitons mener. Mais peut-être sommes-nous notre propre pire ennemi. Par manque de confiance ? Pessimisme ? Rattrapé(e)s par les « nécessités de la réalité » ?
Devenez qui vous admirez
Souvent, je dispose de conseillers imaginaires. La plupart du temps, c’est un alien qui ressemble beaucoup à Teal’c (souvent sans chemise, mais je m’abstiendrai de communiquer davantage de détails), et qui me demande si ce problème est vraiment important à l’échelle de l’univers.
Maintenant, mes conseillers imaginaires sont aussi les personnes que j’admire. Ou plutôt, la représentation des traits de caractère que j’admire chez elles et eux. Ma copine bijoutière baisserait-elle les bras devant un refus d’éditeur (de vitrine chez un bijoutier) ? Ann Leckie remiserait-elle son manuscrit au fond d’un tiroir dans un accès de doute pour abandonner l’écriture ? Elizabeth Gilbert, à ses débuts, aurait-elle arrêté d’écrire pour un travail à temps plein et à forte demande de disponibilité, pourtant très bien payé ?
Dans ces cas-là, il suffit de faire ce qu’ils et elles feraient. On dit parfois « fake it until you make it », ou encore « fais semblant jusqu’à ce que tu y arrives vraiment ». Il n’est pas nécessaire d’être une personne globalement confiante pour agir de manière confiante juste cette fois-ci.
Je n’ai pas besoin d’être une autrice reconnue pour continuer à écrire aujourd’hui. Et si mon manuscrit est refusé, alors je ferai comme Elizabeth Gilbert, je persévèrerai, pendant des années s’il le faut. Car ainsi, je deviendrai une personne que j’admire, que mes manuscrits soient effectivement publiés un jour ou non.
J’ai l’impression que c’est en revenant à ces modèles tout personnels que j’ai trouvé le courage de reprendre l’écriture, d’y consacrer de plus en plus de temps et d’énergie, jusqu’à quitter un travail qui ne me convenait plus depuis longtemps. Jusqu’à oser me qualifier d’autrice. J’ai l’impression qu’en suivant les traces des gens que j’admire, je suis en train de me fabriquer une vie qui me plaît. Peu à peu.
Car au final, que regrette-t-on ? Je pense que l’on ne regrette jamais d’avoir échoué et persévéré. Je pense que l’on regrette de ne pas avoir osé.
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